Fin de saison très british pour l’Opéra de Paris puisque, parallèlement à la Fille Mal Gardée de Frederick Ashton à Garnier, c’est une autre facette de l’art chorégraphique d’outre-Manche qui s’affichait à Bastille avec la reprise une création de 2011 de Wayne McGregor, l’Anatomie de la Sensation. D’un côté tout le charme d’une Angleterre éternelle, celle des gentilhommes campagnards, des livres illustrés de Beatrix Potter, des romans de Jane Austen et de Thomas Hardy. De l’autre, un univers urbain décadent, violent et anxiogène où l’individualisme est roi, inspiré par les toiles de Francis Bacon.
Le langage chorégraphique classique, vecteur chez Ashton d’une histoire, de sentiments, de tendresse et de joliesse teintées d’humour, devient sous le scalpel de Wayne McGregor une mécanique de précision porteuse de sensations brutes, pas forcément joyeuses. Si l’on cherche à tout prix un point commun entre Francis Bacon et la proposition de Wayne McGregor, je pense qu’il s’agit de ce regard clinique et désabusé sur leur prochain, plutôt déprimant.
En dépit des discours pompeux sur son processus créatif distillés dans le programme et les diverses publications de l’Opéra, Wayne McGregor livre finalement une oeuvre lisse, très esthétisante (à mille lieues des toiles de Francis Bacon), fascinante démonstration technique qui n’ennuie jamais le spectateur (contrairement aux autres programmes contemporains de la saison) mais qui ne l’interroge pas non plus.
En effet, quelques jours après avoir vu l’Anatomie de la Sensation, que retient-on des neufs tableaux illustrés par la composition entre jazz et musique contemporaine de Mark Anthony Turnage ? La musique justement, remarquablement interprétée par l’Ensemble Intercontemporain, les éclairages de Lucy Carter qui donnent parfois à la pièce de faux airs de revue chic et le charisme de quelques danseurs. Hugo Marchand crève à nouveau l’écran avec une présence scénique éclatante que ce soit dans le premier duo avec Yannick Bittencourt ou dans un pas de deux virtuose et esthétique avec Laura Hecquet qui s’avère également souveraine dans ce registre contemporain. Juliette Hilaire, qui remplaçait Alice Renavand, fait admirer son pied remarquable, tandis que Vincent Chaillet et Valentine Colasante mettent enfin une pointe d’humour sur scène avec leur duo très inspiré. Les ensembles, où l’on repère Hugo Vigliotti, rallongent à mon avis inutilement la sauce : n’est pas William Forsythe ou Jerome Robbins qui veut.
Cette pièce est également un pont entre la dernière saison concoctée par Brigitte Lefèvre et la première de Benjamin Millepied où figurera une nouvelle création de Wayne McGregor que l’on espère plus marquante, sans oublier le projet commun entre la compagnie du chorégraphe et le Ballet de l’Opéra, Tree of Codes. Un rapprochement que selon son humeur on pourra trouver passionnant ou inquiétant.
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