Une soirée de danse de plus de 2h avec entracte, je n’avais plus vécu cela depuis février 2020. Certes, la soirée commence à 18h, les bars de l’Opéra Garnier sont fermés et la salle paraît étrangement vide avec son tiers de jauge autorisé. Ce n’est d’ailleurs pas si désagréable d’avoir ses aises à l’orchestre, sans tête devant pour obstruer la vue, et de pouvoir s’étaler un peu. Le public semble composée d’habitués en solo ou en duo ainsi que de petits groupes visiblement invités par des entreprises. L’ambiance s’est avérée au final beaucoup plus chaleureuse qu’habituellement lors de ces soirées de premières un peu coincées.

Après les recommandations anxiogènes d’usage, Aurélie Dupont apparaît pour exprimer la joie de la compagnie de retrouver les spectateurs et pour introduire une soirée consacrée à Roland Petit qui reprend à l’occasion des 10 ans de sa disparition 3 titres phares du chorégraphe qui sont aussi des classiques du répertoire de la compagnie. Je ne suis pas une exégète de Roland Petit: j’avais assisté à la soirée de 2013 où figuraient déjà le Rendez-Vous et Carmen et je n’avais jamais vu le Jeune Homme et la Mort en vrai. Je n’ai donc pas réellement d’échelle de comparaison.

Le Rendez-vous (1945)

Distribution : Mathieu Ganio, Alice Renavand, Hugo Vigliotti, Aurélien Houette

Argument : Jacques Prévert

Musique : Joseph Kosma

Le Rendez-Vous est une jolie pièce d’atmosphère qui fait penser au cinéma de Marcel Carné ou de Julien Duvivier. Le Paris d’antan qu’il évoque n’est plus qu’un lointain souvenir à l’ère de #Parissaccage. Mathieu Ganio, avec ses faux airs de Jean-Louis Barrault, est parfait. Hugo Vigliotti est dans son élément avec le rôle du Bossu, et Alice Renavand s’amuse avec les codes de la femme fatale. C’est une excellente idée d’associer Alice Renavand et Mathieu Ganio: le tango «mortel» qui clôt la pièce est un petit chef d’œuvre dramatique qui fait monter la tension du spectateur.

Le Jeune Homme et la Mort (1946)

Distribution : Hugo Marchand, Laura Hecquet

Argument : Jean Cocteau

Musique : Jean-Sébastien Bach, Passacaille BWW582

Passé l’effet waouh de la beauté d’Hugo Marchand, je ne suis pas vraiment rentrée dans le Jeune Homme et la Mort. Il danse beau, avec une puissance physique qui impressionne, mais on ne croit pas un seul instant aux velléités de suicide de ce play-boy. Partant de là, le duo avec Laura Hecquet s’apparente plus à un jeu érotique qui tourne mal qu’à autre chose. Laura Hecquet réveille le ballet quand elle apparaît, mais ne peut pas grand-chose au fait que son partenaire n’est tout simplement pas le personnage.

Carmen (1949)

Distribution : Amandine Albisson, Stéphane Bullion, Audric Bezard, Letizia Galloni, Giorgio Fourès, Alexandre Gasse

Argument : d’après la nouvelle de Prosper Mérimée

Musique : Georges Bizet

C’est avec Carmen que j’ai finalement retrouvé pleinement le plaisir de voir un spectacle de ballet en «live». Quel bonheur de retrouver un corps de ballet un peu plus conséquent, non masqué et heureux d’être sur scène! Tant pis si, avec Roland Petit, les ensembles sont parfois un peu simplistes, mais leur efficacité, très « music-hall », fait souffler un vent d’insouciance sur la salle. Letizia Galloni et Giorgio Fourès sont les « meneurs » très en verve de cette joyeuse troupe.

Amandine Albisson n’est peut-être pas la Carmen ultime, plus une Kitri qui aurait quitté le droit chemin que la fière et fougueuse Andalouse. Mais quelles jambes! J’apprécie aussi la sérénité que l’Etoile dégage depuis 2/3 saisons: finie, l’envie de bien faire et de prouver qu’elle méritait sa place, bien trop visibles lors de ses grandes prises de rôle. Le Don José de Stéphane Bullion m’est apparu plus précis, plus incisif que face à Ludmila Pagliero en 2013 qui l’écrasait un peu. J’ai trouvé intéressante la dynamique qu’il construisait avec Amandine Albisson. Si le pas de deux de la chambre n’est peut-être pas aussi sensuel que lorsqu’il est associé à Eleonora Abbagnato, l’affrontement final est impressionnant de brutalité.

C’est d’ailleurs sur cette soirée que l’étoile transalpine, nommée sur Carmen, devrait faire ses adieux moult fois reportés le vendredi 11 juin, en « plus belle fille du monde » pour le Rendez-Vous avec Mathieu Ganio et ensuite dans la peau de la Mort face au Jeune Homme de Stéphane Bullion. Cette série se poursuivra ensuite jusqu’au 7 juillet : même si ces œuvres ne sont entrées que dans les années 90 au répertoire de la compagnie, il est indéniable que le lien étroit de Roland Petit avec l’institution en font un patrimoine où la troupe s’exprime avec bonheur.

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