L’esprit des Ballets Russes flotte sur Paris en ce début de mois de février. Alors que les Ballets de Monte-Carlo en tournée au Théâtre des Champs Elysées proposaient une très belle soirée « En Compagnie de Nijinsky », l’Opéra de Paris n’était pas en reste avec une soirée contemporaine réunissant le Faun de Sidi Larbi Cherkaoui, variation autour du mythique ballet de Nijinsky, une création de l’Allemand Marco Goecke, chorégraphe dont l’œuvre est hantée par le personnage de Nijinsky, et enfin les Noces de Pontus Lidberg, autre création sur une composition de Stravinsky, chorégraphiée initialement par Bronislava Nijinska, la sœur du célèbre danseur.

Faun

Sidi Larbi Cherkaoui est un habitué de la compagnie, pour laquelle il a créé une version du Boléro et les sections les plus plaisantes de la chorégraphie du Casse-Noisette scénographié par Dmitri Tcherniakov que l’on retrouvera ce printemps. C’est un chorégraphe « efficace », pas trop intellectualisant, et sa revisite de l’Après-Midi d’un Faune ne fait pas exception. La partition de Claude Debussy est entrecoupée d’intermèdes contemporains orientalisants, composés par Nitin Sawhney. Un homme (Simon Le Borgne) et une femme (Clémence Gross) revenus à l’état de nature se rencontrent dans les bois : ils explorent les possibilités de l’amour physique et, ce faisant, dévoilent leur part d’animalité. Les solos d’introduction sont particulièrement réussis : Simon Le Borgne, superbe, a un don pour occuper la scène dans ce type de solo contemporain et Clémence Gross, qu’on a plus souvent vue dans des rôles de demi-soliste sur du classique, surprend dans ce registre. On retrouve certains marqueurs du chorégraphe, notamment des mouvements qui semblent empruntés aux derviches tourneurs. L’œuvre est une réussite plastique indéniable, magnifiant les corps des danseurs. On ne peut néanmoins s’empêcher de penser qu’on est bien loin de la charge érotique, de l’audace et de la transgression de l’original.

Dogs sleep

Marco Goecke propose quant à lui, pour sa première création pour la compagnie parisienne, une œuvre au titre énigmatique, Dogs Sleep. Il tire son inspiration pour cette pièce de son fidèle compagnon à quatre pattes, Gustav, un teckel qui l’accompagne partout depuis 10 ans. A quoi peut bien rêver un teckel qui perd la vue ? Cela ressemble peut-être à cette succession de scènes expressionnistes, avec un plateau plongé dans la pénombre et un plancher nappé de fumerolles blanches d’où émergent les bustes des danseurs ou un confortable divan. Si la dramaturgie de la pièce peut laisser sceptique, je me suis laissée pour ma part séduire par sa poésie, par le patchwork musical associant les Valses Nobles et Sentimentales de Ravel, les Nocturnes de Debussy et un standard du jazz chanté par Sarah Vaughan, et surtout par la puissance du langage chorégraphique de Marco Goecke avec un impressionnant travail des bras et du haut du corps. Parmi les 7 solistes choisis par le chorégraphe (Ludmila Pagliero, Marion Barbeau, Muriel Zusperreguy, Stéphane Bullion, Mathieu Ganio, Marc Moreau, Arthus Raveau pour cette distribution), j’ai trouvé que Marc Moreau, Arthus Raveau et Marion Barbeau ressortaient particulièrement, même si les danseurs des Ballets de Monte-Carlo semblaient plus à l’aise avec le style de Marco Goecke dans le Spectre de la Rose, découvert le vendredi précédent au Théâtre des Champs Elysées.

Les Noces

Chorégraphe de la « nouvelle vague » suédoise qui conquiert le monde, Pontus Lidberg crée pour le Ballet de l’Opéra un ballet sur un monument musical, les Noces, scènes chorégraphiques russes avec chant et musique composées par Stravinsky pour Diaghilev. Les 4 tableaux d’un mariage traditionnel russe sont ici revisités dans une chorégraphie pour 18 danseurs du corps de ballet, donnant vie à la diversité des formes du couple « moderne ». Les panneaux figurant des roses géantes à différents stades de leur vie rythment les différentes phases du couple. Sur le plan de la danse pure, il n’y a rien de vraiment palpitant, à part peut-être un Antoine Kirscher bondissant : Jerome Robbins a tout inventé dans ce registre et Benjamin Millepied a pas mal copié. Je trouve surtout que la danse ne réussit pas à s’imposer en égale de la musique, et, à partir de la moitié des 25 minutes, mon regard était plus attiré par l’orchestre et les chœurs installés dans la fosse que par les allées et venues des danseurs sur scène.

Ces trois pièces, sans atteindre les sommets de leurs modèles/inspirations et leur ambition d’un art total, sont des ajouts intéressants au répertoire contemporain de l’Opéra qui louche de plus en plus volontiers vers celui de la compagnie de référence dans ce registre, le Nederlands Dans Theater.

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