Pour sa venue à Paris, le Bolchoï n’a pas amené une de ses «superproductions» chorégraphiques  mais un ballet dans la veine néo-classique, inspiré du chef d’œuvre de Balzac, Illusions Perdues.

Anastasia Stashkevich et Vyacheslav Lopatin

Le chorégraphe Alexeï Ratmansky a recréé en 2011 ce ballet sur la base du livret d’une pièce chorégraphiée en 1936 et qui tomba très vite dans l’oubli, la faute à une intrigue qui pouvait être perçue comme « politiquement incorrecte » en ces débuts de purges staliniennes.

Même si les créateurs ne revendiquent pas forcément la fidélité à la trame narrative des aventures de Lucien de Rubempré à Paris,  mais se réclament plutôt d’une atmosphère et de la poétique universelle du titre, on peut apprécier l’habile transposition de l’intrigue de l’univers des lettres à l’univers du ballet. L’aspirant poète qui se va se compromettre dans le journalisme et les critiques faciles de pièces de théâtre, devient ainsi un jeune compositeur, qui propose ses services au ballet de l’Opéra. Les actrices Coralie et Florine se métamorphosent en ballerines, dont la rivalité va être un des instruments de la déchéance de Lucien.  Là ou l’auteur écrivait un recueil de poèmes et un roman dans le goût de Walter Scott, le musicien écrit la partition d’un ballet poétique, « La Sylphide », et d’un ballet d’aventures à la « Marco Spada ».

Sous le ciel de Paris : les décors de Jérôme Kaplan

Le roman nous propose une description documentaire de l’industrie des lettres dans la France de 1830, le ballet recrée une vision du monde de la danse sous la Restauration. C’est l’un des aspects les plus remarquables du spectacle, qui se réalise notamment au travers de la scénographie  imaginée par Jérôme Kaplan qui nous transporte tour à tour dans les rues de Paris, dans un studio de danse, sur scène, dans la chambre de bonne de Lucien, dans l’appartement de Coralie ou dans un bal masqué. Cela donne un petit côté kaléidoscope de gravures anciennes au ballet.

Dommage que lorsque la gravure prend vie, cela manque un peu de souffle dramatique. Alors, certes Illusions Perdues, ce n’est pas la Dame aux Camélias ou l’Histoire de Manon, références du « ballet-roman », mais on attend vainement le grand pas de deux final qui aurait pu tout emporter. Pourquoi conclure le ballet avec Coralie suivant son protecteur, plutôt qu’avec sa mort veillée par un Lucien, pour une fois capable d’un acte dénué d’égoïsme, conformément au roman ? La musique composée par Leonid Desyatnikov, plus là pour illustrer la psychologie des personnages, contribue également à cette impression d’absence de véritable enjeu dramatique.

Anastasia Meskova et Andrei Bolotin

C’est ce qui explique sans doute la relative froideur du public que l’on sentait pourtant prêt à s’enthousiasmer pour le moindre morceau de bravoure. Et pourtant, il y a de beaux moments dans la représentation que nous a offerte la troisième distribution lors de la dernière, le 10 janvier. Dans la chambre de Lucien, Lucien (Vyacheslav Lopatin) et Coralie (Anastasia Stashkevich) font jaillir l’étincelle de la création artistique lors d’un pas de deux d’une délicieuse légèreté. Lors de la création du ballet « La Sylphide », le pas de trois dans la coulisse entre Lucien, Coralie et le premier danseur (Andreï Bolotin) est un clin d’œil malin au pas de trois James, Effie, la Sylphide qui se joue sur scène. Anastasia Meskova en vénale Florine enflamme la salle lors d’une série de fouettés ébouriffants réalisés sur une table de jeu.

Anastasia Meskova

Enfin,  Vyacheslav Lopatin est bouleversant dans la scène de tentative de suicide sur les quais de Seine.

Ce qui éblouit également c’est la qualité de la danse, la fluidité des portés, la légèreté des réceptions, l’implication totale de chaque danseur sur scène.

Le Maitre de Ballet et la Servante

Illusions Perdues est finalement un ballet néo-classique assez inclassable voire déroutant, refusant certains des effets faciles propres au genre, reposant en grande partie sur du théâtre dansé, l’œuvre d’un féru d’histoire de la danse qui s’interroge sur les vicissitudes de la vie d’artiste. C’est en tout cas une œuvre suffisamment riche pour mériter une autre vision, à l’occasion d’une séance de cinéma le 2 février prochain ?

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