Fidèle à sa politique de faire découvrir au public français la grande comédie musicale américaine, le Théâtre du Châtelet propose avant les grandes vacances une production somptueuse de The King and I, le musical du duo Rodgers et Hammerstein. L’histoire d’amitié amoureuse du roi du Siam et de la gouvernante anglaise de ses enfants évoque pour beaucoup d’entre nous une superproduction de l’âge d’or hollywoodien avec Yul Brynner et Déborah Kerr. C’est avant cela un spectacle de Broadway dont le livret adapte un best-seller de Margaret Landon, version romancée des mémoires d’Anna Leonowens, institutrice à la cour du Roi Mongkut vers 1860, mémoires elles-même passablement enjolivées. Yul Brynner obtint l’Oscar du meilleur acteur pour son interprétation de Mongkut, et ce rôle l’a suivi toute sa carrière (ainsi que le crâne rasé emblématique de l’acteur) puisqu’il l’a joué sur scène, jusqu’à sa mort, plus de 4000 fois.
La production du Châtelet, dirigée par le britanique Lee Blakeley, restitue tout le plaisir que l’on peut avoir devant un vieux film en Technicolor avec des décors superbes sans être trop clinquants et des costumes de rêve (notamment les volumineuses crinolines d’Anna). La chorégraphie originale de Jerome Robbins (adaptée par Peggy Hickey) ajoute encore à la féérie visuelle.
Lambert Wilson, grand amateur du genre, démontre ses multiples talents (comédie, chant, danse) dans le rôle du Roi, poussant le perfectionnisme jusqu’à parler anglais avec un accent thaïlandais: assez éloignée de l’image de guerrier asiatique séduisant et musclé que dégageait Yul Brynner, son interprétation s’attache à montrer un souverain, gardien de traditions ancestrales, cultivé, qui a compris que la pérennité de sa dynastie passait par l’ouverture à l’occident.
On découvre ainsi les différents visages d’une personnalité complexe.
L’homme d’esprit visionnaire est séduit par l’institutrice, Anna, pur produit de l’Angleterre victorienne et de son colonialisme, femme courageuse, un peu « féministe » avant l’heure, qui ose défier son autorité. Anna est incarnée par la chanteuse lyrique Susan Graham. Elle nous enchante en délivrant les délicieuses mélodies qui ne peuvent que trotter dans la tête après les avoir entendues : « I whistle a happy tune », « Hello Young Lovers », «Getting to know you », « Shall we dance ».
Les joutes verbales de ce couple étonnant sont particulièrement savoureuses et ne manquent pas de faire sourire, les amenant insensiblement vers des sentiments amoureux que les conventions de leur situation et de leur époque leur interdisent de s’avouer.
Le roi est aussi un homme de traditions, dont certaines ulcèrent la bien pensante Anna. Polygame, il reçoit en cadeau une princesse birmane, Tuptim. Tuptim se retrouve « prisonnière » du harem du roi, et s’enfuira avec l’officier qui l’a escortée depuis la Birmanie. La destinée tragique des deux amoureux aurait gagné à être plus concise. Elle est malgré tout le prétexte à de beaux passages romantiques où brillent vocalement la soprano Je Ni Kim et le baryton Damian Thantrey ainsi qu’à une mise en abîme au travers d’un ballet, la Case de l’Oncle Tom, scénarisé par Tuptim pour la soirée de gala donné par le roi aux dignitaires britanniques.
Le roi est enfin un père dévoué, aimant ses 67 enfants (majestueuse scène de la Marche des Enfants Siamois) et soucieux de passer le relais à son héritier. Le petit prince Chulalongkorn est craquant en mini-moi du roi Mongkut, et ne manque pas de dignité lors de la scène finale au chevet du roi mourant, où il prend sa première décision de souverain.
Ce spectacle familial est à déguster comme un délicieux gâteau à la crème, tout en n’excluant pas une réflexion que prolonge l’excellent programme de salle.
Mots Clés : Jerome Robbins,Lambert Wilson,Lee Blakeley,Susan Graham,The King and I