La saison en cours est résolument contemporaine, et la soirée consacrée à deux chorégraphes américains (pour ne pas changer) Merce Cunningham et William Forsythe est sans doute la plus exigeante de celles qui nous ont été proposées depuis Maguy Marin et ces oubliables Applaudissements qui ne se mangent pas l’an dernier.
Avec Walkaround Time de Merce Cunningham, pape de la danse contemporaine new-yorkaise, on atteint des sommets d’ennui. Petite réflexion entendue dans la loge voisine de la mienne à l’entracte: « For ballet, Russians are still the best ». Difficile de contester l’opinion de ce spectateur qui pensait s’être offert une soirée de prestige dans un des temples mondiaux de la danse, et qui se retrouve face à une pièce contemporaine aride de 48 minutes, avec fond sonore minimaliste (bruit de pas, bruits de circulation, silence ou des extraits de textes de Marcel Duchamp). 4 hommes et 5 femmes en académiques aux couleurs très sixties déroulent des mouvements d’une grande pureté, que l’on croirait presque au ralenti par instant. Sur scène, des artefacts non identifiables, qui rappellent l’installation de Marcel Duchamp, la Mariée Mise à Nue par ses célibataires, même, sont exposés dans des housses parallélépipédiques plastifiées: dans le dernier segment les danseurs les déplaceront pour construire la « machine érotique » évoquée par le texte de Marcel Duchamp. En plein milieu de la pièce, on aura aussi eu une longue séquence façon échauffement des danseurs, qui laisse un espace d’improvisation aux interprètes, peut-être la moins pénible de cet exercice arty entre recherche d’une épure totale de la forme dansée et installation artistique déjantée qui devait séduire l’intelligentsia new-yorkaise à l’époque de sa création mais semble horriblement daté aujourd’hui. Si je ne devais retenir qu’une chose de ce long pensum, ce serait le talent du jeune Simon Le Borgne pour habiter seul la scène : il mériterait davantage d’exposition, dans des pièces moins expérimentales.
On se dit qu’après l’entracte, William Forsythe va réveiller la salle. Las, son Trio ne rachète pas l’affaire. On voit bien la continuité entre l’approche radicale / aléatoire de Cunningham et le Forsythe hésitant entre Tanztheater et danse pure de Trio, mais ce n’est pas vraiment le répertoire de Forsythe qui convient le mieux aux danseurs de l’Opéra. Je ne suis pas entrée du tout dans ce court ballet de 15 minutes, qui m’est apparu là aussi très daté, des années 90 cette fois, malgré les superbes danseurs, Eléonore Guérineau, Maxime Thomas et Hugo Vigliotti.
La deuxième pièce de William Forsythe, Herman Schmerman, paraît être là pour finir la soirée sur une pièce plus facile et spectaculaire, histoire que les spectateurs occasionnels et les touristes aient l’impression d’avoir vu une des plus grandes compagnies de danse du monde. C’est sûr que le programme aurait été beaucoup plus sympa avec des pièces de la même veine, mais, si William Forsythe est un génie, on frôle quand même un peu l’overdose sur les dernières saisons. Le ballet est en fait constitué de deux parties autonomes, une pièce pour 5 danseurs purement abstraite et virtuose, qui fait penser à the Vertiginous Thrill of Exactitude ou à Blake Works I, et un pas de deux où la théâtralité s’invite pour épicer la technique classique. La première partie confirme que Pablo Legasa est un futur grand, et, dans le pas de deux, l’association d’Eleonara Abbagnato et de François Alu est une riche idée de casting, faisant espérer qu’un jour on puisse les voir danser ensemble du Roland Petit.
Mots Clés : Eleonora Abbagnato,Eléonore Guérineau,François Alu,Hugo Vigliotti,Maxime Thomas,Merce Cunningham,Pablo Legasa,Simon Le Borgne,William Forsythe