Parmi les grands ballets légués par Noureev à l’Opéra de Paris, les deux œuvres chorégraphiées sur des partitions de Prokofiev, Cendrillon et Roméo et Juliette, tiennent une place un peu à part. A la différence de ses versions des classiques du Kirov qui lui imposaient les contraintes d’une structure très codifiée, même s’il a su leur donner un souffle dramatique personnel, Noureev a pu déployer dans ces œuvres une plus grande liberté créatrice. Son sens de la dramaturgie et du spectacle s’y épanouissent pleinement, voire avec excès. La danse prend des accents plus contemporains. A travers la scénographie transparaissent les goûts d’esthète de Noureev, sa « boulimie » culturelle et sa fascination pour le cinéma. Cendrillon, hommage à l’âge d’or du cinéma hollywoodien, est le versant lumineux et léger de cette veine d’inspiration, alors que Roméo et Juliette en est le versant sombre, imprégné de culture européenne, mêlant drame élisabéthain, Italie du Quattrocento, reconstitution historique d’un réalisme cru, sous influence de l’adaptation cinématographique de Roméo et Juliette par Franco Zeffirelli. Pas besoin d’être féru de danse classique pour apprécier ce « drame » où le verbe shakespearien est remplacé par le vocabulaire chorégraphique et où la débauche d’effort physique et la complexité retorse des pas imaginés par Noureev permettent aux danseurs de se mettre à nu et d’atteindre la vérité dramatique.

Sur la place de Vérone

Mathieu Ganio, Roméo rêveur

Amandine Albisson, Juliette forte
Portrait d’une jeune femme forte, Roméo et Juliette est aussi assez paradoxalement un ballet mettant en valeur la danse masculine dans ses différents styles. Si l’ on excepte les rôles de caractère de la nourrice et de Lady Capulet et la Rosaline d’Heloïse Bourdon, archétype de la coquette, Amandine Albisson a fort à faire sur le plateau pour exister face aux hommes de Vérone. François Alu est un Mercutio prodigieux: comme à son habitude, il dévore la scène, et son solo du premier acte, petit bijou d’explosivité et d’humour, déclenche l’enthousiasme du public. Dans le clan Montaigu, le Benvolio de Fabien Révillion allie puissance des sauts et élégance des lignes dans sa danse. Le trio Roméo – Mercutio – Benvolio fonctionne particulièrement bien et nous offre les temps forts du ballet, notamment dans le deuxième acte. Karl Paquette apporte sa finesse dramatique au personnage de Tybalt, un rôle compliqué puisqu’il doit pouvoir osciller entre la tendresse de l’amour fraternel et protecteur qu’il porte à Juliette, l’autorité du bras armé de la famille Capulet et la brutalité soldatesque des rixes dans les ruelles de Vérone. Il me semble néanmoins manquer un peu d’impact physique dans la spectaculaire danse des chevaliers du premier acte ou dans le duel de l’acte II qui précède sa mort des mains de Roméo. On aurait aimé un Pâris avec plus de panache, mais le côté appliqué de Yann Chailloux sied finalement assez bien au rôle dévolu au promis de Juliette. Le corps de ballet était plutôt bien en place pour une première, et il ne manquait qu’une petite étincelle entre les deux protagonistes principaux pour sublimer la représentation.
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