Après Giselle, la Belle au Bois Dormant ou le Lac des Cygnes, Mats Ek s’attaque à une autre relecture contemporaine d’une oeuvre mythique du répertoire classique, Roméo et Juliette, chorégraphiée pour le Ballet Royal de Suède qui l’a présentée à l’occasion d’une série de représentations début janvier à l’Opéra Garnier. D’ailleurs, il serait plus juste de parler d’une nouvelle interprétation de la pièce de Shakespeare voire même d’un retour au source de la légende des amants de Vérone, transposée au XXIème siècle par le chorégraphe suédois et rebaptisée pour l’occasion Juliette et Roméo. La scission avec les versions dansées de l’histoire est renforcée par le fait que Mats Ek ne s’appuie pas sur la partition magnifique de Prokofiev mais sur une sélection de musiques pour orchestre de Tchaïkovski, néanmoins suffisamment connues pour séduire un vaste public.
Pour la scénographie, le chorégraphe a opté au premier acte pour une ambiance de guérilla urbaine, avec des cloisons mobiles déplacées par les danseurs et des jeux de fumées, qui trouve fortuitement une résonance avec les sombres événements parisiens de cette deuxième semaine de janvier. Le premier acte stimule et intrigue le spectateur qui cherche à repérer les marqueurs de cette histoire universelle, et on a l’impression que le chorégraphe s’amuse à brouiller les pistes : pas de code couleur vestimentaire pour distinguer les Capulet et les Montaigu, confusion entre Tybalt et Mercutio ou entre Roméo et Benvolio. Si l’on voyait le ballet sans en avoir le titre, saurait-on qu’il s’agit de Roméo et Juliette?
Le style si particulier de Mats Ek permet de retranscrire la touche plus prosaïque et légère dont Shakespeare agrémente ses tragédies : irruption des représentants de la maison princière sur scène juchés sur des Segway, le personnage de la Nourrice interprétée avec jubilation par la femme du chorégraphe Ana Laguna. La chorégraphie n’est jamais facile, et exploite les qualités techniques et physiques des danseurs de formation classique de la troupe avec notamment des ensembles qui magnifient les grandes vestales nordiques, même si ce sont finalement les scènes mettant en scène Juliette dans sa cellule familiale qui m’ont le plus touchée. La Juliette du soir était Rena Narumi, seulement 2ème soliste dans la compagnie. Il émane de la danse de cette ballerine de poche une puissance physique assez étonnante et fascinante: les jeux avec la Nourrice et sa présentation à Pâris par son père et sa mère sont les passages les plus réussis du ballet. Le personnage de Roméo, incarné par Anton Valdbauer, paraît en comparaison de Juliette un peu falôt, ce qui ne remet pas en cause les qualités techniques indéniables du soliste. Ainsi la scène du balcon ne décolle pas sur un plan émotionnel.
Le deuxième acte pâtit à mon sens d’un manque de progression dramatique. C’est un peu comme si Mats Ek se désintéressait de son couple principal pour se focaliser sur une réflexion sur la jeunesse cherchant sa place dans la société moderne : dénonciation du conformisme et de l’homophobie, éloge de la différence … On peine à se passionner pour ces thématiques rebattues et on se prend parfois à plus observer ce qui se passe dans la fosse d’orchestre que sur scène où les évolutions des danseurs apparaissent répétitives.
Je ressors de la salle avec des sentiments mitigés : séduite par un premier acte intelligent et intriguant et la découverte d’une troupe de grande qualité et un peu ennuyée par un deuxième acte resté à l’état d’ébauche.
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