Giselle, c’est le ballet signature que le Ballet de l’Opéra de Paris emmène dans ses valises lorsqu’il part en tournée à l’étranger, mais les spectateurs parisiens ne l’avaient pas vu depuis une éternité, la saison 2009-2010 pour être précis, ce qui ne laisse pas d’interroger sur la vocation classique de la troupe.

C’est aussi déjà le dernier ballet classique d’une saison plutôt pauvre en ce domaine et le seul donné au Palais Garnier, si l’on excepte la venue de l’English National Ballet avec le Corsaire cet été. A vrai dire, il est grand temps que cette saison s’achève pour la compagnie, tant les remous à sa tête et l’absence d’une véritable direction depuis février semblent induire une sorte de flottement parmi les solistes et dans les rangs du corps de ballet. Si l’on ajoute à ce contexte les menaces d’annulation que font peser les mouvements sociaux en cours, les comptes dans le rouge de l’institution et les défections, cette série de Giselle tant attendue ne démarre pas sous les meilleurs auspices.

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Impression confirmée au levé de rideau de la première avec l’annonce de l’absence de Myriam Ould-Braham, souffrante, qui remplaçait déjà Laetitia Pujol, et la substitution du duo qu’elle devait former avec Mathieu Ganio par le couple Amandine Albisson Stéphane Bullion qui avaient déjà dansé la veille à l’occasion de l’avant-première jeunes. C’est le genre de péripétie qui agace le balletomane qui a soigneusement planifié les représentations de sa série pour voir un couple en particulier ou des distributions variées, d’autant plus que le tarif de cette soirée de samedi était surtaxé.

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Amandine Albisson et Stéphane Bullion, entourés de Vincent Chaillet, Valentine Colasante et Héloïse Bourdon

Ce sont les débuts d’Amandine Albisson dans le rôle de Giselle dans sa version parisienne. Elle a déjà abordé le rôle cet automne avec Mathias Heymann comme Albrecht à l’Opéra de Rome. La jeune femme est l’étoile la plus distribuée de l’ère Millepied : en deux saisons, elle a énormément étoffé son répertoire, même si elle est loin de faire l’unanimité parmi les habitués qui lui reprochent entre autres d’avoir injustement été préférée à Héloïse Bourdon au concours de promotion, d’avoir été nommée étoile par Brigitte Lefèvre pour éclipser le départ de la très aimée Isabelle Ciaravola et pour mettre des bâtons dans les roues de Benjamin Millepied ou d’être une technicienne narcissique incapable d’interagir avec ses partenaires. Autant ses premiers pas d’étoile n’ont pas été exceptionnels, autant je trouve que depuis un an elle a progressé sur le plan dramatique et son association avec Stéphane Bullion dans les Enfants du Paradis ou dans Polyphonia a prouvé qu’elle pouvait danser sans « snober » son partenaire. Giselle n’est peut-être pas le rôle dans lequel on imaginerait spontanément cette belle et grande jeune femme rayonnante de santé. Elle ne serait pas vraiment crédible en petite paysanne modeste et crédule: sa Giselle du premier acte est coquette, un brin séductrice, inconstante envers Hilarion dont elle se désintéresse sans trop de considération pour céder aux sirènes du hobereau séducteur Albrecht.

Vincent Chaillet

Vincent Chaillet

Stéphane Bullion n’est pas un Albrecht aimable. Il mérite bien plus que l’Hilarion de Vincent Chaillet, amoureux éconduit sincère, d’être condamné à la vengeance des Wilis. Il livre ici une interprétation « delonesque » du personnage : il « chasse » la paysanne, Giselle est charmante et pas si farouche, cela tombe bien et le soupirant jaloux qui rôde dans les parages rajoute un peu de piment à l’affaire. Il faut voir la façon dont il étreint la jeune fille en protestant de sa bonne foi après les révélations d’Hilarion et son regard ennuyé lorsqu’il se rend compte que Giselle prend tout cela au sérieux et que cela va compromettre ses affaires matrimoniales.

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Avec ce parti pris des deux interprètes principaux, la scène de la folie tombe un peu de nulle part, sauf à penser que  c’est une punition divine qui est infligée à Giselle. A la décharge d’Amandine Albisson, rares sont les danseuses qui sont capables de jouer et de danser ce passage avec authenticité, et, au fur et à mesure des représentations, elle devrait creuser son interprétation du rôle.

Sur le premier acte, j’ai trouvé que le corps de ballet manquait de fraîcheur et ne mettait pas vraiment en valeur les solistes. Pour tout dire, la troupe de la Scala était bien plus vivante dans le même exercice l’an dernier au Palais des Congrès. Il faut attendre l’apparition de François Alu et de Charline Giezendanner dans le morceau de bravoure du pas de deux des paysans pour amener un peu de peps sur le plateau, même si la distribution de François Alu dans ce type de rôle à ce moment de sa carrière n’est pas forcément pertinente.

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Le deuxième acte est apparu dans l’ensemble plus maîtrisé. On ne se lasse pas de voir et de revoir ces tableaux d’une beauté irréelle où les Wilis, les fantômes des jeunes filles mortes pour avoir trop dansé (ou trop cru leur soupirant), et leur reine Myrtha viennent hanter les nuits embrumées du cimetière du village pour punir l’inconséquence des hommes. Valentine Colasante est une Myrtha pleine d’autorité, à la technique assurée, à laquelle il manque le soupçon d’évanescence que l’on attend d’une créature fantastique.

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Valentine Colasante

Que de poésie dans l’entrée de Stéphane Bullion, enveloppé dans sa cape, portant un bouquet de lys. La mort de Giselle a réveillé le sens moral d’Albrecht : figure quasi spectrale, à l’égal de son amoureuse, il semble à la recherche de l’étreinte de la mort pour expier ses errements passés. La véritable histoire d’amour, c’est dans le deuxième acte qu’elle se développe et qu’elle se sublime : les portés aériens où la ballerine semble flotter dans les airs sont de toute beauté. Amandine Albisson séduit par ses équilibres sur pointe, l’esthétique de ses lignes et son ballon. Stéphane Bullion a surpris dans sa première variation avec une élévation dans les sauts qu’on ne lui connaissait plus forcément et des double-cabrioles assez spectaculaires, et dans sa seconde variation, en n’exécutant pas la fameuse série d’entrechats-six, mais une diagonale de sauts de basque sans doute plus raccord avec l’état d’esprit d’Albrecht à ce moment du ballet. J’ai en tout cas été touchée par la cohérence artistique et technique de cette proposition. A la fin du spectacle, c’est un homme nouveau, prêt à vivre en accord avec ses idéaux, qui émerge de la clairière des Wilis.

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