En décembre 2012, Brigitte Lefèvre confiait à un jeune homme de 19 ans, tout juste promu sujet, la lourde responsabilité de remplacer avec Mathilde Froustey le couple d’Etoiles prévue pour la matinée de gala du Don Quichotte des fêtes de fin d’année. Je me rappelle m’être dit à l’issue de cette représentation enthousiasmante que François Alu, le Basilio du jour, était la star des années à venir. Après une accession express au rang de premier danseur (3 concours passés, 3 montées dans la hiérarchie), qui aurait pu penser qu’il faudrait attendre presque 10 ans et le 24 avril 2022 pour le voir promu Etoile ? Et pourtant, la sortie des années Lefèvre s’est avérée difficile à digérer pour le prodige.

Premier Don Quichotte avec Mathilde Froustey

Tout semblait partir sur le bon pied avec Benjamin Millepied : avant même de prendre la Direction de la Danse à l’Opéra, le chorégraphe lui a confié la création du rôle du pirate Bryaxis dans son Daphnis et Chloé et le premier danseur apporte toute sa fougue et son charisme à sa chorégraphie, dynamitant le côté un peu aseptisé du style Millepied, pas impressionné par sa partenaire prestigieuse, Aurélie Dupont qu’il fait sortir de sa réserve pudique. On aurait pu supposer qu’il ferait partie des piliers de la génération Millepied, cela ne sera pas vraiment le cas et le danseur à la progression linéaire et bien intégré va se transformer en un outsider. Il fait finalement un peu partie des meubles de l’ancienne direction, le répertoire Balanchine / Robbins (et leurs suiveurs contemporains) mis au-dessus de tout par Benjamin Millepied a l’air de profondément l’ennuyer et il s’amuse beaucoup plus hors les murs avec ses camarades de la troupe du 3ème étage, Samuel Murez et Josua Hoffalt, à monter des spectacles grand public qui mixent l’héritage de Roland Petit, le ballet classique et la culture « geek ». Pour Benjamin Millepied qui a des velléités de Pygmalion, François Alu est trop indépendant pour être sa créature, c’est plus valorisant de mettre en avant de nouveaux talents, Hugo Marchand, Germain Louvet ou Pablo Legasa. Il a aussi le tort d’avoir un fan-club un peu envahissant et bruyant : pas toujours agréable pour la danseuse qui l’accompagne sur scène de passer pour le faire-valoir.

François Alu
François Alu dans Daphnis et Chloé

En tant que premier danseur, entre les rôles « classiques » de sa fonction (pas de deux et de trois virtuoses, seconds rôles des grands ballets narratifs), il a quelques opportunités dans des premiers rôles : La Fille Mal Gardée, La Source, Siegfried dans le Lac des Cygnes. Ce Lac des Cygnes, il devait le danser avec Aurélie Dupont, un tremplin pour le titre d’étoile, ce sera finalement avec Sae Eun Park. Les rumeurs sous-entendent que les répétitions avec Aurélie Dupont ne se sont pas bien passées, Aurélie Dupont ne dansera pas sa dernière série de Lac. Solor aux côtés de Myriam Ould-Braham dans la Bayadère en décembre 2015 semblait à nouveau une occasion idéale, mais Benjamin Millepied, en plein conflit avec une partie de ses troupes (il annoncera son départ 2 mois après), a commencé à prendre du recul, et on l’imagine mal nommer un danseur qui faisait partie du camp de ses détracteurs.

Lescaut dans l’Histoire de Manon

Quand démarre la direction d’Aurélie Dupont, François Alu est donc étiqueté forte tête et sa proximité avec Samuel Murez qui est soupçonné d’avoir fait fuiter à la presse l’enquête de satisfaction interne à charge contre le management d’Aurélie Dupont ne va pas arranger cette image. On a tout à coup l’impression plus ou moins avérée que les distributions sont faites pour lui rappeler qu’il est voué à rester premier danseur, dans des emplois de danseur de demi-caractère, le voilà abonné à Rothbart et Hilarion. Des rumeurs parlent de départ de la compagnie, mais, objectivement, il continue à être régulièrement distribué, plus que d’autres premiers danseurs et moins que Germain Louvet et Hugo Marchand qui sont passés étoiles entre temps et il a très rarement le privilège d’accompagner une partenaire étoilée. On peut tout de même difficilement parler de placardisation, même, si au vu de son grand talent, on rêverait de le voir dans tous les premiers rôles du répertoire. D’autant plus qu’à chaque apparition sur scène, on ressent une volonté de tout donner pour son art et de se dévoiler à travers lui, assez touchante : ma dernière grande émotion avec François Alu sur scène, c’est dans A Suite of Dances dans la soirée Robbins de 2018. La pandémie nous aura privés de son Quasimodo dans Notre Dame de Paris de Roland Petit.

A Suite of Dances

Finalement, c’est plus la mise en avant de nouveaux danseurs (Paul Marque, Francesco Mura, Guillaume Diop, la nouvelle pépite) et la décision du danseur lui-même de prendre un congé pour devenir juré de Danse avec les Stars sur TF1, puis son apparition un peu surréaliste en membre du jury de Miss France, qui accréditaient le sentiment que François Alu n’avait plus sa place à l’Opéra. Cette offensive médiatique (pas du meilleur goût pour certains) lui a permis de lancer efficacement sa petite entreprise et de faire la promotion de son seul en scène monté avec 3ème étage. Peut-on réellement lui en vouloir d’assouvir sa boulimie de danse dans une période si compliquée pour les artistes ? Son retour à l’Opéra et sa nomination se sont faits avec la manière, avec la prima ballerina assoluta de l’Opéra, Dorothée Gilbert, dans un grand ballet classique, La Bayadère dans la peau du guerrier Solor, un rôle techniquement compliqué dont, il y a 10 ans, il était l’un des rares à l’Opéra à pouvoir affronter les difficultés avec facilité. D’une certaine façon, il a ouvert la voie à toute une génération de danseurs en remettant la grande technique au goût du jour. C’est aussi tout un symbole que cette nomination ait eu lieu lors d’une représentation « à petit budget », destinée à faire découvrir l’Opéra à un public familial, car on l’a compris François Alu ne prend pas des poses intellectuelles mais milite pour la danse comme art populaire. Je suis en tout cas très curieuse de découvrir le tournant que va prendre sa carrière. Quelle part pour ses projets personnels ? Sera-t-il une étoile à temps plein distribué sur tous les classiques, ou plus une étoile « invitée » dansant sur quelques spectacles dans l’année ?

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